Pendant le stage d’écriture intensif que j’animais cet été, j’ai entendu une phrase à laquelle je n’avais pas fait attention jusque là. Nous parlions de la méthode pour réécrire un premier jet et je demande à une autrice “pourquoi réécrit-on un texte ?”.
Sa réponse, intuitive et spontanée : “Parce qu’il n’est pas bon”, m’a saisi. J’aurais pu la prononcer moi aussi, tant elle semble évidente. Pourtant, à ce moment-là, cette idée m’est apparue avec tout ce qu’elle a de dommageable pour l’auteur et pour le texte.
C’est une phrase que nous pouvons tous prononcer, qui révèle une vision commune déformée du processus créatif. Pire, elle empêche le livre d’atteindre son plein . Au lieu de nous concentrer sur ce qui est déjà bon, nous cherchons ce qui ne l’est pas, et passons à côté des qualités de notre travail.
Si je réécris, c’est parce que le livre est déjà bon, pas parce qu’il est mauvais.
Quand je produis un mauvais premier jet, je le jette : il n’y a dans ce texte rien à garder, rien qui suscite mon intérêt, rien qui mérite d’être montré.
Si je prends le temps de réécrire mon texte, c’est parce que j’ai trouvé dans mon premier jet des points d’accroche, des moments de plaisir, des passages qui m’ont fait dire : “il y a quelque chose dans ce texte qui mérite d’exister”.
Pour cette raison, je commence mon travail de réécriture non pas en soulignant ce qui ne va pas, mais en reconnaissant ce qui va.
Ce qui va c’est, par exemple :
- Ce qui me plaît
- Une forme intéressante
- Un dialogue pétillant, juste et rythmé
- Un traitement thématique réussi
- des scènes à l’enchaînement fluide et entraînant
- Une caractérisation de personnage vivante et incarnée
- Une description immersive
- …
La liste n’est pas exhaustive. Ce que j’identifie dans cette lecture attentive de mon texte, ce sont mes intentions. Quand j’entoure une description, je me dis “voilà l’ambiance que je veux dans l’ensemble de mon livre” ou “voilà le niveau de détails que je veux dans mes autres descriptions”. Je suis en train de me représenter l’objet final que je vise.
Ensuite seulement, je vais regarder les autres parties du texte, pas parce qu’elle ne sont pas bonnes, mais parce qu’elles ne sont pas encore à la hauteur des premières.

Bon pour le moral, et pour le texte
C’est très différent, à la fois pour le maintien de votre motivation, et pour la qualité du livre. Réécrire à partir de l’idée que “ce n’est pas bon”, vous maintient dans un rapport critique négatif à votre livre. C’est très compliqué de changer de regard, quand vous avez pris l’habitude de penser le livre comme un objet inabouti. C’est difficile aussi de reconnaître ses qualités.
En pensant à ce que vous souhaitez réaliser plutôt qu’à ce qui ne va pas, vous vous préparez au contraire à reconnaître l’aboutissement du projet. Quand toutes vos parties répondront à vos intentions, vous pourrez dire “j’ai fini”. En plus, vous habituez votre critique interne à reconnaître ce que vous voulez plutôt que ce que vous ne voulez pas. Vous en faites un allié plutôt qu’un obstacle à la fluidité de votre écriture.
Réécrire en chassant ce qui n’est pas bon pour l’améliorer consiste aussi à niveler le projet par le bas. Au lieu de prendre comme référence l’expression claire de ce que vous visez, vous appuyez votre réécriture sur la reconnaissance de ce que vous ne voulez pas. Votre attention est captée par le négatif (“je ne veux pas ça”) sans savoir vers quoi votre intention tend, alors au moment de modifier le texte, vous avancez à tâtons.
Prenez l’inverse : vous avez identifié ce qui fonctionne dans le texte, c’est-à-dire ce que vous voulez qu’il contienne de façon plus homogène. Quand vous repérez un passage qui ne vous convient pas, ce n’est pas pour une obscure intuition (“je sens que ça ne me va pas”), c’est parce que vous le comparez avec des intentions claires. Alors, vous pouvez le modifier non pas au hasard en espérant que cela vous plaira mieux ensuite ; non pas en vous référant à des guides d’écriture abstraits, mais en vous basant sur les passages déjà aboutis de votre projet.
À vous d’agir: Réécrire avec méthode
- À partir d’un premier jet, identifiez les passages qui vous font dire : “c’est vers cela que je souhaite aller”.
- Analysez ce qu’ils contiennent qui vous plaît afin de savoir comment retravailler le reste de votre texte (par exemple: les descriptions qui me plaisent dans ce texte font appel aux cinq sens, elle est en mouvement et intégrée à l’action).
- Trouvez dans le texte les passages qui ne sont pas encore au niveau et analysez ce qui leur manque (par exemple : un bloc de description séparé de l’action et statique mais elle fait déjà appel aux cinq sens).
- Réécrivez de sorte à garder ce qui fonctionne déjà et à ajouter ce qui n’est pas en place et/ou retirer ce qui est en trop.
Adoptez ce regard sur votre réécriture sur vos prochains textes et observez ce qui change dans votre rapport à votre écriture (notamment la voix de votre critique interne).
Si vous souhaitez explorer plus avant les méthodes de réécriture, vous pouvez lire mon manuel sur l’écriture (et la réécriture) de scènes ou visionner ma masterclass.