Si vous cherchez l’antagoniste de votre histoire, revenez sur vos pas et regardez votre héros en face. C’est lui, son pire ennemi.
L’intrigue d’une histoire repose sur l’opposition d’un personnage en quête de quelque chose (un objet, un sentiment, une relation, lui-même…) et une série d’obstacles. Au coeur de ces obstacles se dresse un personnage: l’antagoniste.
Cet antagoniste l’est par accident. Il n’a pas choisi d’être le “méchant” de l’histoire. Il a seulement eu la malchance de vouloir la même chose que le héros, ou une chose opposée.
L’antagoniste est un bon outil pour l’auteur parce qu’il permet d’incarner le conflit de l’histoire. Il le concentre dans un personnage que le lecteur/spectateur peut comprendre, qu’il peut identifier. L’antagoniste permet de ramener dans l’émotionnel un conflit qui s’exprime sous différentes formes, qui est éparpillé dans plusieurs obstacles. En focalisant l’opposition de l’intrigue dans un seul personnage, l’auteur donne au lecteur quelqu’un à détester. Celui-ci se soulage alors de toute sa frustration, toute la souffrance née des coups que subit le protagoniste (et que ressent le lecteur par empathie), en projetant sa colère sur l’antagoniste.
C’est donc très utile d’avoir un antagoniste.
Mais c’est rester en surface de l’intrigue que de se limiter à cette seule acception du conflit.
Le vrai antagoniste, c’est le protagoniste lui-même.
Il ne le fait pas exprès, mais il se met constamment des batons dans les roues.
L’une des raisons de cet autosabotage, c’est le paradoxe qui est à la base de tout bon personnage de fiction: ce qu’il veut le plus est aussi ce qui lui fait le plus peur. C’est Bud Fox dans Wall Street, qui rêve de devenir un grand trader mais qui, réalisant son rêve, trahit ses valeurs et les valeurs de son père. En se réalisant, il cherche à susciter l’admiration de son père et c’est tout le contraire qui se produit. C’est cette prise de conscience que son père est déçu par ses actions, que Bud décide de faire marche arrière.
C’est, dans un autre registre, Alex Fletcher dans Le Come Back, qui veut réaliser un nouveau hit (et cesser d’être le chanteur has been qu’il est devenu) mais qui a peur de prendre un risque créatif. C’est grâce à sa rencontre avec Sophie Fisher qu’il est poussé hors de ses réserves et qu’il surmonte sa peur… non sans avoir tout saboté entre temps.
Ce paradoxe du protagoniste, cette peur liée à l’objectif, doit venir des profondeurs du personnage, être issu de sa part d’ombre. Il faut toucher à la plus grande vulnérabilité possible du personnage. Comme à peu près tout ce qui arrive à Joe MacMillan dans Halt and Catch Fire. Comme tout ce que fait et vit Don Draper tout au long des sept saisons de Mad Men.
Rester sur des obstacles purement externes, sur une liste de péripéties venues de l’extérieur et voulues par un antagoniste, c’est vous priver d’un ressort psychologique crucial du lecteur: ses propres contradictions.
Lorsque vous développez la caractérisation paradoxale du protagoniste et que vous l’utilisez comme source principale des articulations de votre intrigue, vous offrez à votre histoire une densité supplémentaire qui résonne directement avec les doutes, les insécurités, et les espoirs de votre lecteur.
N’est-ce pas ce que nous attendons de la fiction ? Qu’elle nous montre qu’il est possible de conquérir nos démons internes… ou ce qui arrive quand on échoue.